On a fait le Mexique.

Publié par FC

Commencer par deux heures d’autoroute en se disant qu’on a de la chance, cela pourrait être pire, certains habitent très loin des aéroports. Il n’y a pas assez d’aéroports.

Chercher le parking pas cher pendant une heure : le gps dans les zones industrielles, c’est pas ça. Attendre la navette, prendre la navette. Arriver à l’aéroport trois heures avant, ouf, c’est plus prudent. S’emmerder pendant deux heures puis s’enregistrer, se faire contrôler trois fois, manger des sandwichs à huit euros pièce, arrosés d’une Kronenbourg à quatre euros cinquante. Profiter du duty free. Au retour on n’aura peut-être pas le temps, autant s’encombrer tout de suite avec des parfums plus chers que chez Sephora et du whisky hors de prix mais comme on ne sait plus combien il coûte chez Leclerc, tant pis. Marcher des kilomètres dans l’aéroport sauf quand les trottoirs roulants ne sont pas en panne. Arriver dans l’avion. Avoir les pétoches (en avion, t’es quand même plus sûr de mourir qu’en voiture, où l’accident génère davantage le handicap). Ne pas écouter les consignes de sécurité. Se caler sur le siège de torture pour une durée de douze heures. Grignoter sur ses genoux. Avoir des crampes. Entrevoir des films charcutés par Miss Censure sur un écran timbre-poste. Avoir froid. Ne pas dormir à cause d’un gosse qu’on étrangle et d’un voisin qui rêve au tronçonnage d’une forêt entière. On a de la chance, l’avion a décollé à l’heure et il n’y a pas de grève. Etre déçu par l’absence de turbulences : ça fera un truc de moins à raconter. Rêver de faire l’amour dans les toilettes mais ne pas oser. S’endormir enfin, au moment où la cabine se rallume et les hôtesses amènent le tout petit petit-déjeuner.

Sortir de l’avion et dire : il fait chaud, t’as vu (oui certains « voient » qu’il fait chaud). S’étonner du décalage horaire (si étonnant, en réalité).  

La tête dans le cul, zombifier jusqu’au tapis des bagages, se tromper de valiser, attendre assez longtemps pour craindre le pire : la mienne est celle qui sera perdue. On a de la chance, elles sont là. Rezombifier jusqu’au hall des arrivées. Chercher le gars de la navette. Repétocher mais seulement pendant trente minutes. On a de la chance, il était seulement un peu en retard.

Rouler pendant deux heures en essayant de dormir mais, comme le chauffeur semble s’entraîner pour le Dakar, c’est compliqué quand on se cogne la tête au plafond tous les quarts d’heure. Arriver à l’hôtel. Il fait nuit, on ne voit rien. S’horrifier du cocktail d’accueil (tiens, ici existe encore le Tang, ou alors il y a beaucoup d’eau ou la prohibition fait rage…). Attendre sa clé. Ecouter le blabla qui donne rendez-vous à la réunion du lendemain si on veut se ruiner dans des excursions pour vieux ne sachant pas comment dépenser leur pension. Obtenir sa clé. Exiger le code wifi. Chercher sa chambre dans le labyrinthe. Oh il y a des fleurs sur le lit et les serviettes sont pliées en forme de cygne, vite une photo. On a de la chance. Se coucher. La douche attendra. Oh chéri, il y a des petits savons. Ta gueule.

Passer une semaine sur le même transat (on prend vite des habitudes) en y déposant sa serviette à sept heures du matin et en l’y laissant pour aller manger et faire pipi, tout ça à cause des Russes et des Allemands qui n’ont aucun savoir-vivre, mais qu’est-ce qu’ils viennent foutre là, ils se croient chez eux. Ne louper aucune des animations de soirée, qui rappellent si bien l’époque du centre aéré avec les gentils moniteurs, les chorégraphies et les sketch de m… calme-toi chéri, on n’a rien d’autre à foutre. Profiter du all-inclusive (en disant «olll – innnn’ »), se tapant d’incessants apéros au goût d’essence, de white-spirit, d’eau de javel, de peinture. Espérer que les glaçons ne soient pas faits avec l’eau du robinet. Se goinfrer à la cantine pour finir par ne plus supporter la vue de ces montagnes de bouffe, se contenter d’une part de pizza et d’une pomme. Le reste : se baigner, dormir, se laver, bronzer son corps de rêve, s’emmerder, regarder la télé en langue locale ou en anglais, sans rien piger. Ne parler à personne puisqu’on ne les connaît pas, et en plus ils sont peut-être socialistes. Passer son temps sur facebook. Dire aux amis que tout va bien. Ecouter France Bleu, l’avantage d’internet. Poster une photo de ses pieds devant la piscine et les palmiers. Déprimer parce que le chat et le chien nous manquent (les enfants aussi, mais nettement moins) mais bon encore trois jours et on rentre.

Retour : même chose que l’aller mais dans l’autre sens. Etape à ajouter : achat compulsif et accéléré  (on va rater l’avion si tu traînes !) de souvenirs chinois à l’aéroport, pour chaque membre de la famille et la voisine qui accueille le chien et le chat. Nouveau passage au duty free puisque le whisky a été bu en douce, et toutes les cigarettes fumées.

Retour à la maison. Merde, il y cinq centimètres d’eau. Une fuite au lave-linge. On a de la chance, il aurait pu être installé à l’étage.   

 

Francis CAMPAGNE

Publié dans L'humeur du jour

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