Du gasoil pour Tata Ginette

Publié par FC

Houlala, ma tante Ginette est très remontée. Elle a posé un gilet jaune sur le pare-brise de son Audi. Le 17 novembre, elle bloque la France ! Ça va chier. Bon je lui ai quand même conseillé de ne pas barrer une route en impasse, ce serait peu productif. En tout cas, la Tata est au bord de la crise de nerfs : elle veut du gasoil, plein de gasoil, un tsunami de gasoil, et le moins cher possible. Tant qu’à pomper la planète, autant le faire jusqu’à la dernière goutte. L’écologie, les gaz d’échappement, elle en a rien à foutre, puisqu’elle cassera sa pipe avant que ça aille vraiment mal. Et pour Ginette, rouler en voiture, c’est vital. Sinon comment elle ferait, hein ? Comment elle ferait ? Son Audi, c’est qu’elle sort tous les jours et pour des raisons valables uniquement. Elle a quand même pas bossé toute sa vie pour se retrouver sur un vélo (bon, elle a jamais beaucoup travaillé ; en plus comme infirmière elle était nulle – rien qu’à la voir arriver, certains guérissaient instantanément – et obligée de prendre des arrêts-maladie pour pouvoir aller au Club Med mais elle couchait avec le médecin, sans doute myope, pour qu’il les lui signe, quelle salope).

Mais voilà, faut pas exagérer. Ginette, elle roule, elle roule. Et pour la bonne cause, c’est-à-dire la sienne. Tous les matins, elle va acheter une baguette bien fraîche. Le dimanche, elle prend aussi un croissant. La boulangerie est à trois cent mètres, faut comprendre. Elle laisse tourner le moteur, le quartier n’est pas dangereux même si elle a déjà aperçu des gens de couleur, mais où va-t-on ? L’après-midi c’est immanquablement Intermarché (elle lorgne sur le poissonnier).

Quand il fait froid, Ginette laisse chauffer l’habitacle environ vingt minutes avant de démarrer, pour ne pas s’enrhumer. Le mardi, elle va jouer au scrabble avec Yvonne, une autre momie à peu près du même millésime. C’est dans la petite rue en face de chez elle. Aller à pied, ça abîme les chaussures, et il peut pleuvoir et il y a son arthrite. Mais Ginette s’aventure aussi bien plus loin. Trois ou quatre fois par an, elle part à Reims s’ennuyer pendant quelques jours chez son fils. Il est con comme une brosse à chiotte et possède deux ou trois fruits de ses coïts mal maîtrisés, créatures hideuses posées devant des jeux vidéo, tétant du Red Bull, beuglant Nique Ta Mère. Elle en revient toujours épuisée et furax, puis y retourne.

Avec ses copines, Ginette aime aussi aller au cinéma Kinepolis à soixante kilomètres, celui du village elle ne sait même pas quel film y passe. Ginette aime les soldes à Euralille, les soldes à la cité de l’Europe de Calais, les soldes à l’Usine de Roubaix. Comme ça, elle fait plein d’économies. De temps en temps, elle prend aussi la bagnole pour promener le chien, il adore ça, cet imbécile shampooiné. Un jour elle a entendu parler de Blablacar, elle a mis un certain temps à comprendre qu’un tel truc puisse exister et elle a dit « ça va pas la tête, je vais quand même pas prendre des inconnus dans ma voiture, ils peuvent être dangereux ou sales. » Ginette roule utile et elle veut remplir son réservoir le plus souvent possible. Faut pas l’emmerder. L’autre fois, elle a voulu transporter mon corps de rêve à la gare où je devais prendre un train. J’ai décliné, préférant le bus. Elle m’a regardé comme si je venais de perdre la raison. J’ai quand même ramassé son dentier.

 

©Francis Campagne      

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